Hôtels-Dieu, prisons, palais de justice... la nouvelle jeunesse des vieilles pierres
Par Paul Molga et Stanislas Du Guerny | 10/04 | 07:00
Les monuments historiques sont la cible des promoteurs.
Les propriétaires de monuments peinent à garder leurs patrimoines.
Marseille inaugurera dans quelques jours un palace cinq étoiles aménagé dans l'ancien Hôtel-Dieu, un monument historique municipal à l'architecture grandiose surplombant le Vieux-Port, mais laissé en friche depuis des années faute de moyens. Axa, qui a réalisé l'opération avec Cogedim, a investi 87 millions d'euros dans ce programme qui porte l'enseigne du groupe britannique Intercontinental. « C'est aussi un projet de requalification urbaine qui retrace le trait d'union entre la ville et le quartier historique du Panier », explique son architecte, Anthony Bechu.
La cité phocéenne n'est pas la seule concernée par ces projets de restauration et de requalification de vieilles pierres. Abandonné par le ministère de la Justice, le palais de justice, qui date du XIX e siècle, est devenu le premier hôtel quatre étoiles de la ville. Bar design dans la salle des pas perdus, restaurant baptisé L'Assise, plus de 140 chambres sous enseigne en hôtel Radisson Blu. Le Grand Hôtel-Dieu lyonnais est lui aussi en cours de rénovation, avec un hôtel cinq étoiles de 147 chambres qui occupera le bâtiment central conçu par l'architecte Soufflot et dont l'ouverture est prévue en 2016, mais aussi 8.000 mètres carrés de cours et jardins intérieurs, des bureaux, des commerces réalisés sous l'égide d'Eiffage.
Avec la mise sur le marché de pans entiers d'histoire, le mouvement s'accélère. Le déménagement des hôpitaux dans des bâtiments neufs libère des édifices historiques en plein centre-ville. Demain, ce sont les palais de justice, les casernes militaires, les lofts industriels, des entrepôts et même d'anciennes geôles qui seront sur le marché, comme en Avignon, où le pénitencier de Sainte-Anne s'apprête à accueillir une clientèle touristique de luxe sur 8.500 mètres carrés avec 90 chambres installées dans les cellules pour un investissement de 36 millions d'euros. « Ces lieux de mémoire sont connus comme des repères visuels. En leur donnant un nouvel avenir, on prolonge cette filiation urbaine indispensable à l'identité d'une ville », ajoute l'architecte. Les collectivités y trouvent leur compte : elles n'investissent généralement rien de plus dans la valorisation de leurs plus beaux joyaux que la signature d'un bail emphytéotique.
Le patrimoine privé moins subventionné
La moitié du patrimoine national protégé est cependant privée et la plupart sont entre les mains de propriétaires individuels. L'association La Demeure historique, qui regroupe 3.000 d'entre eux, a effectué une enquête qui met en lumière la baisse des aides des collectivités et des crédits de l'Etat. Plus de la moitié des conseils régionaux ont supprimé leurs subventions aux monuments historiques privés, obligeant les propriétaires à se tourner vers d'autres sources de revenus pour conserver et entretenir leur patrimoine. Xavier Greffe, professeur d'économie à Paris-I et spécialisé dans les produits culturels, estime que « l'économie des monuments privés est à reconstruire ».Mais attention, entre emplois directs, indirects et retombées locales, 450.000 actifs sont employés dans cette filière.
Pour Jean de Lambertye, président de La Demeure historique, l'ensemble de l'Europe est confronté au même sujet de recherche de ressources nouvelles pour pérenniser le patrimoine. Les monuments devront développer des activités adaptées à leur territoire, mais il y a un risque d'inégalité : les sites les mieux placés vont s'en sortir, ce sera plus difficile pour ceux situés dans les zones rurales reculées.
Les chiffres
43.000 monuments historiques privés
Parmi eux, on compte environ 6.000 châteaux.
100 sites sont gérés par l'état
L'établissement public Monuments historiques reçoit 9 millions de visiteurs par an.